vendredi 13 mars 2009

Du paganisme contemporain

L'actualité récente est une triste fresque d'événements tragiques, notamment en matière de massacres sanglants. Le dernier en date s'est produit en Allemagne, dans la petite ville de Winnenden. Un jeune adolescent de 17 ans, Tim Krestchmer, a ouvert le feu sur quinze personnes, les tuant toutes sur le coup. La fascination qu'exercent de tels massacres sur l'opinion s'explique certes, fort normalement, en raison de leur caractère aussi bien choquant qu'imprévu, sinon incompréhensible. Je me risque cependant à soumettre une autre hypothèse, quelque peu aventureuse et risquée mais qui a le mérite, à mon sens, de soulever certaines questions dignes d'intérêt.

Il faut tout d'abord considérer les circonstances dans lesquelles s'est déroulé le drame. Les motivations du jeune meurtrier sont curieusement proches de celles manifestées par d'autres individus en des lieux différents. Dans le cas qui nous occupe, Tim Krestchmer, on suppose à la suite d'une déception amoureuse, s'en est presque exclusivement pris aux filles et femmes de son collège. Lors de la fusillade de Virginia Tech, Cho Seung-hui fait feu sur ses camarades, ces « gosses de riche » faisant honteusement preuve de « débauche ». Dans un cas comme dans l'autre, l'envie et le ressentiment – qui marchent de pair, disait Nietzsche – dictent ces conduites abominables. La même logique implacable s'impose dans les deux cas, en dépit de circonstances dissemblables en surface : les filles trucidées par Tim comme les étudiants morts sous les balles de Cho ne font rien d'autre que représenter la ou les personnes nourrissant l'envie des deux meurtriers – une personne aimée dans le premier cas, probablement ; des camarades heureux et oisifs dans le second. En outre, le monde entier devient de même rapidement témoin de l'acte, les médias se faisant l'écho du dramatique événement.

Ces schémas sont semblables aux sacrifices païens antiques dont les mécanismes ont été décortiqués par René Girard dans La violence et le sacré : une victime expiatoire est condamnée sous les yeux de la multitude, laquelle se décharge ainsi en quelque sorte de la violence qu'elle contient et qui la mine. La victime est le symbole de toutes les haines et de toutes les envies, remplace tous les ennemis comme tous les adversaires. Par sa mort, la société est protégée de la désagrégation violente. Le christianisme, par l'imitation du modèle christique, met fin au sacrifice comme mode de régulation des rapports sociaux. Dans le cas présent, on peut se demander si les victimes de Tim ou de Cho, plus que d'anonymes vies perdues, ne sont pas des êtres sacrifiés par et surtout pour la société dans son ensemble. Les corps des victimes, les circonstances du drame, l'horreur de l'acte sont exposés à la vue de tous, en étant repris et diffusés dans les médias du monde entier. Sous les apitoiements de circonstance, sous les regards déplorés de la multitude se cachent peut-être l'attrait et la fascination malsains pour une violence dirigée contre l'ennemi que l'on envie, qu'il s'agisse de filles ou de riches en l'occurrence, ou plus simplement de notre voisin, de notre frère ou de nos collègues.

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