dimanche 12 août 2012

Pensée du jour, XI

L'intérêt du Vallon, ceci étant dit, était ailleurs. Il ne se situait même pas dans l'ambitieux personnage d'Henrietta, le sculpteur, à travers laquelle Agatha Christie avait cherché à représenter [...] la souffrance spécifique qui s'attache au fait d'être artiste : cette incapacité à être vraiment heureuse ou malheureuse ; à ressentir vraiment la haine, le désespoir, l'exultation ou l'amour ; cette espèce de filtre esthétique qui s'interposait, sans rémission possible, entre l'artiste et le monde.
Michel Houellebecq, Plateforme, Flammarion, 2001, p. 98

dimanche 29 janvier 2012

Pensée du jour, X

Dans cette très lumineuse Ténèbre, puissions-nous entrer nous-mêmes, et, par la non-vue et l'inconnaissance, puissions-nous voir et connaître ce qui est au-delà de toute vision et connaissance, par le fait même de ne rien voir ni rien connaître. Car c'est là véritablement voir et connaître et célébrer suressentiellement le Suressentiel lorsque l'on fait abstraction de tout ce qui existe. Tout comme ces artistes, lorsqu'ils façonnent une statue, retranchent tout ce qui masque la pure vision de la forme qui s'y dissimule, c'est par ce seul dépouillement qu'ils font apparaître la beauté latente.
Denys l'Aréopagite, Traité de la théologie mystique, trad. de l'abbé Darboy (1845), §2

dimanche 22 janvier 2012

Henry Miller sur le temps libre

Il y a, et il y a toujours eu, quelques rares individus qui n'ont plus besoin de livres, fût-ce de livres « sacrés ». Et ce sont précisément les gens éclairés, éveillés. [...] Ils ne cherchent pas à remplir leur esprit de connaissance, mais de sagesse. [...] Ces hommes là ne sont jamais pressés, ils ne sont jamais trop occupés pour répondre à un appel. Le problème du temps n'existe pas pour eux, tout simplement. Ils vivent dans l'instant et ils se rendent compte que chaque instant est une éternité. Tout autre type d'individu que nous connaissons fixe des limites à son temps « libre ». Ces hommes exceptionnels n'ont rien d'autre que du temps libre.
Henry Miller, Lire aux cabinets, Gallimard, 1957, p. 76-78

mercredi 11 janvier 2012

Pensée du jour, IX

Que veux-je dire, Seigneur mon Dieu, sinon que j'ignore d'où je suis venu ici-bas, en cette vie. Dois-je la nommer une vie mortelle, ou plutôt une mort vivante ?
Saint Augustin, Les Confessions, Livre I, ch.VI

dimanche 4 décembre 2011

Partir en exil sur une île déserte

Parfois, on se prend à rêver d'une vie sauvage, loin du bruit et des tracas de la vie quotidienne. C'est alors que je me suis mis à la recherche des derniers ailleurs, totalement dépourvus ou presque de présence humaine. Aux confins de l'hémisphère sud, baignée dans les eaux froides de l'océan Austral, la Géorgie du Sud pourrait être le lieu idéal pour qui veut s'isoler, à l'instar des îles Auckland, proches de la Nouvelle-Zélande et déjà plus hospitalières. À la réflexion, s'il s'agit de faire de ce rêve une réalité, certaines îles des Açores, comme l'île du Corbeau, sont déjà plus intéressantes : elle sont plus accessibles et surtout parfaitement habitables.

Outre les Açores, qui sont un pis-aller puisque habitées, il existe une solution plus satisfaisante encore - mais plus onéreuse - pour qui veut se retrouver seul au milieu de l'océan. Comme Tom Hanks dans Seul au monde, mais certainement avec plus de confort, vous pouvez devenir propriétaire d'un petit bout de terre perdu au milieu de nulle part. Sur la Toile, les vendeurs d'îles privées abondent, à l'exemple de Private Islands Online ou de Vladi, qui proposent un véritable catalogue d'îles désertes, situées sur tous les continents. D'autres sites, comme The Private Islands Blog, prodiguent des conseils et des informations pour tout intéressé.

vendredi 5 août 2011

Platon sur l'amour, l'identité et l'immortalité

En effet, même dans ce que l'on appelle la vie individuelle de chaque vivant et dans son identité (c'est ainsi que, depuis sa petite enfance jusqu'à ce qu'il soit devenu vieux, on dit qu'il est la même personne), oui, cet être-là, quoi qu'en lui il n'ait jamais les mêmes choses, on l'appelle néanmoins le même, et cependant, tout en faisant des pertes, il se renouvelle incessamment, dans sa chevelure, dans sa chair, dans ses os, dans son sang et, d'une façon générale, dans tout son corps. Et ce n'est pas seulement dans son corps, mais ce sont aussi, selon l'âme, ses manières d'être, son caractère, ses opinions, ses désirs, ses joies et ses peines, ses craintes, c'est chacun de ces éléments qui, pour chacun de nous, ne se présente jamais identique à ce qu'il était ; il y en a, au contraire, qui viennent à l'existence ; il y en a d'autres qui se perdent.

Or, ce qu'il y a de plus déconcertant encore que tout cela, c'est que, même en ce qui concerne les connaissances, non seulement il y en ait qui viennent pour nous à l'existence, et d'autres qui se perdent, et que nous ne soyons jamais non plus les mêmes dans l'ordre de nos connaissances, mais c'est aussi que chacune des connaissances subit elle-même un sort identique ! Ce qu'on appelle en effet étudier implique une évasion de la connaissance ; car l'oubli, c'est une connaissance qui s'évade, tandis qu'inversement l'étude, remplaçant la connaissance qui s'en va par un souvenir tout neuf, sauvegarde si bien la connaissance qu'on la juge être la même !

C'est de cette façon, sache-le, qu'est sauvegardé tout ce qui est mortel ; non point, comme ce qui est divin, par l'identité absolue d'une existence éternelle, mais par le fait que ce qui s'en va, miné par son ancienneté, laisse après lui autre chose, du nouveau qui est pareil à ce qu'il était. C'est par ce moyen, dit-elle, que ce qui est mortel, Socrate, participe à l'immortalité, dans son corps et dans tout le reste. [...] Donc, ne t'émerveille pas que ce qui est une repousse de lui-même, chaque être ait pour lui tant de sollicitude naturelle, car c'est en vue de l'immortalité que font cortège à chacun d'eux ce zèle et cet amour !
Platon, Le Banquet

lundi 25 juillet 2011

Pensée du jour, VIII

Contrairement à ce que l’on croit habituellement, c’est la créature d’élite et non la masse qui vit « essentiellement » dans la servitude. Sa vie lui paraît sans but s’il ne la consacre au service de quelques obligations supérieures. Aussi la nécessité de servir ne lui apparaît pas comme une oppression, mais au contraire, lorsque cette nécessité lui fait défaut, il se sent inquiet, et invente de nouvelles règles plus difficiles, plus exigeantes, qui l’oppriment. Telle est la vie-discipline, la vie noble. La noblesse se définit par l’exigence, par les obligations, non par les droits. Noblesse oblige.
Vivre à son gré est plébéien ; le noble aspire à l’ordre et à la loi (Goethe)
Les privilèges de la noblesse ne sont pas, à l’origine tout du moins, des concessions ou des faveurs, mais des conquêtes. Et, en principe, leur maintien suppose que le privilégié devrait être capable de les reconquérir à tout instant, si cela était nécessaire, ou si quelqu’un les lui disputait.
José Ortega y Gasset, La révolte des masses (1929)